Page:Filion - Amour moderne, 1939.djvu/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 141 —

Comme Pierrette se taisait, il continua :

— Ah c’est pour cela que tu me repousses ! C’est de crainte de voir les gens critiquer ta manière de faire, c’est parce que tu n’aurais pas extérieurement le beau rôle. Mais tu le sais bien, nous laisserons la ville, nous irons loin, très loin, aussi loin que tu voudras, afin qu’aucun de ces bruits ne viennent frapper ton oreille, et gâcher le bonheur que je veux te donner. Nous chercherons un lieu pour cacher notre vie où personne ne saura rien de nos relations antérieures : il ne viendra à la connaissance de personne non plus que tu m’as accepté en mariage un jour où ta dot était minime.

— Ah ! je le sais Charlie, je ne doute pas une minute de ton bon cœur, loin de moi l’idée de te faire injure. Tu cacherais à tous ce secret que moi je ne saurais jamais oublier. Jamais tu ne me ferais le moindre reproche ni de ma pauvreté, ni de ma conduite passée, tu mettrais même tout en œuvre pour me faire oublier mes torts envers toi. Raison de plus de t’admirer, de te dire que je sais t’apprécier. Mais tout cela ne change rien à ma décision.

Puis sur un ton différent :

— Si je suis femme c’est pour savoir ce que c’est que d’aimer. Dans ma naïveté j’ai pu croire le contraire, combien j’ai souffert pour en faire la triste et bienheureuse expérience, nul ne le saura jamais. Puis il n’y a pas que moi qui sois en jeu. Vous-même, comment pourriez-vous aimer une femme qui au lieu de vous donner son cœur à jamais, l’a donné un instant à un autre ? Comment pourriez-vous chasser de votre esprit les soupçons qui, en justice, pourraient l’effleurer ? Comment pourrai-je être heureuse quand un regard de vous, un simple mot, me paraîtraient des allusions à mon malheureux passé que je suis impuissante à abolir ? Notre vie ne serait qu’un long malentendu ! Oh Charlie, je vous en prie, éloignez-vous. Tout, tout nous sépare.

Elle s’était dressée en prononçant ces dernières paroles.