Page:Filion - Amour moderne, 1939.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 42 —

une minute terrible à laquelle elle ne peut songer sans un frisson, est-ce plus facile ? Mieux vaudrait la mort, l’immobilité, l’impossibilité de parler et tout serait réglé définitivement.

La mère s’est assise, et a pris une broderie : c’est une nappe de « five o’clock » que Pierrette a bien vivement désirée. Le modèle est de broderie Richelieu, très compliqué.

La jeune fille regarde le travail difficile, et sa mère qui s’incline pour y mettre en même temps que son habileté, tout son cœur maternel.

— Maman, pourquoi vous tuer à ce travail ? Je n’en aurai jamais besoin de cette nappe maintenant.

Madame des Orties ne relève pas cette phrase qu’elle a entendue tant de fois depuis ces derniers mois.

— Vas-tu répondre toi-même à Charlie aujourd’hui ? interroge-t-elle.

— Ne vous fatiguez pas, je lui écrirai dans quelques jours.

La maman soupire pour toute réponse. Elle sait qu’elle devra le faire elle-même ; ces quelques jours seront des mois.

Pierrette appuie sa tête au dossier de la chaise. Elle songe : Pourquoi écrire à Charlie ? Que lui dirait-elle ? Elle commence à être assez bien pour réfléchir. Elle essaie de s’expliquer sa conduite à l’égard de son fiancé. L’avait-elle assez désiré ce retour ? Mais pour quelle raison s’était-elle mise à le désirer ; déjà n’y avait-il pas un doute dans son esprit ? Pourquoi pensait-elle si souvent à une rupture possible ? Puis elle se rappelait la minute où il lui était apparu, gros et court, descendant du train, elle avait eu l’impression de voir quelqu’un qu’elle n’avait jamais connu. Brusquement il se fit un jour dans son esprit, et elle comprit qu’elle avait attendu Charlie, mais un Charlie ayant les manières de Guy de Morais. En une minute, elle acquérait la certitude que non seulement elle ne l’aimait plus, mais qu’elle en aimait un autre. Elle se prit à rire, d’un rire