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résolution de ne jamais entamer de discussion à ce sujet. J’étais trop brisée et physiquement et moralement, j’opposais à toutes les insinuations malveillantes qu’on me décochait, un silence qui me valait bien d’autres remarques désobligeantes, mais à la fin, j’étais devenue complètement indifférente : souffrir un peu plus ou un peu moins.

— Tu vins donc au monde chez tes grands parents Lavoise. Tu étais une fille. Donc, j’étais certaine de te garder pour moi seule. Tu porterais mon nom, et si jamais, il lui prenait fantaisie de réclamer son enfant, je ne le lui donnerais pas de plein « gré ».

— Aussitôt que mes forces me furent assez revenues, je montai à Québec, je te plaçai chez une dame qui se chargeait, moyennant une somme modique, de te donner tous les soins nécessités par ton jeune âge. Ce me fut un réel déchirement de me séparer de mon bébé. Je n’avais plus de mari, plus de défenseur officiel, j’avais une petite fille, je t’avais, toi, et je devais abandonner à des mains mercenaires le soin d’envelopper tes membres délicats, de te nourrir, de te caresser, de te dorloter, de t’entourer de tendresse. De réchauffer mon cœur ulcéré près du tien eût été un baume à ma souffrance, mais ce baume-là devait m’être refusé aussi. J’étais bien décidée à ne plus être à charge à personne. Ma belle-sœur, la femme de mon frère, avait dit tant de fois durant mon séjour à la maison : « une bouche de plus à nourrir et qui ne rapporte rien, cela compte par les temps que nous traversons. » Maman