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Page:Fitzgerald (trad. Llona 1946) - Gatsby le Magnifique.djvu/66

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des rafales d’un rire niais et béat s’élevaient vers le ciel estival. Un couple de jumeaux de théâtre, qui n’étaient autres que les jeunes filles en jaune, jouèrent un sketch habillées en bébés. On servait le champagne dans des verres plus vastes que des rince-bouches. La lune était plus haute et, flottant dans le détroit, il y avait un triangle d’écailles d’argent, qui tremblait un peu au sec friselis en fer-blanc des banjos installés sur la pelouse.

J’étais toujours avec Jordan Baker. Nous étions assis à une table avec un homme à peu près de mon âge et une petite fille mal élevée, qui, sur la moindre provocation, s’abandonnait à un rire irrépressible. Je m’amusais à présent. J’avais bu deux rince-bouches de champagne et la scène s’était muée sous mes yeux en quelque chose de significatif, d’élémentaire et de profond.

Pendant une accalmie des réjouissances, l’homme me fit un sourire.

— Votre visage m’est familier, dit-il avec politesse. Ne faisiez-vous pas partie de la Troisième Division pendant la guerre ?

— Mais oui. J’appartenais au 9e bataillon de Mitrailleurs.

— Moi, je suis resté au 7e d’Infanterie jusqu’à juin 1918. Je savais bien que je vous avais vu quelque part.

Nous parlâmes un instant de certains villages, gris et humides, de France. Sans doute demeurait-il aux environs, car il me dit qu’il venait d’acheter un