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LA FIN DU MONDE

homicide eussent pu réellement dominer si longtemps la pauvre race humaine, arrivée enfin à l’âge de raison.

En vain les derniers souverains avaient-ils essayé de proclamer avec une emphase retentissante que la guerre était d’institution divine, qu’elle était le résultat naturel de la lutte pour la vie, qu’elle constituait le plus noble des exercices et que le patriotisme était la première des vertus ; en vain les champs de bataille avaient-ils été qualifiés de champs d’honneur et les chefs victorieux avaient-ils vu leurs statues glorieuses dominer les foules adulatrices. On avait fini par remarquer que nulle espèce animale, à part quelques races de fourmis, n’avait donné l’exemple d’une bêtise aussi colossale ; que la guerre avait été l’état primitif de l’espèce humaine obligée de disputer sa vie aux animaux ; que depuis trop longtemps cet instinct primitif s’était tourné contre l’homme lui-même ; que la lutte pour la vie ne consistait pas à se poignarder soi-même, mais à conquérir la nature ; que toutes les ressources de l’humanité étaient jetées en pure perte dans le gouffre sans fond des armées permanentes, et que l’obligation seule du service militaire inscrite dans les codes constituait une telle atteinte à la liberté qu’elle avait rétabli l’esclavage sous prétexte de dignité. Les nations gouvernées par des rois belliqueux et sacerdotaux s’étaient révoltées, avaient emprisonné leurs souverains et les avaient embaumés, à leur mort,