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LA FIN DU MONDE

dernière race aristocratique, qui s’était conservée par des efforts inouïs et avait lutté constamment contre la misère générale, dans la vaine espérance de survivre au reste du monde, se maintenait encore vivante au milieu des ruines des palais antiques, à grand’peine disputés aux injures du temps. Un retour atavique, que les lois de l’hérédité peuvent expliquer, avait donné à la dernière fleur de l’arbre humain un rayon de beauté depuis longtemps évanoui dans la décadence universelle. C’était comme une fleur qui, dans l’arrière-saison, éclôt au dernier soleil d’automne, sur l’écorce d’un arbre mort. Depuis longtemps, dans les campagnes stériles, les êtres vieillis, épuisés, rapetissés, diminués de corps et d’esprit, rétrogradés à l’état sauvage, avaient presque tous laissé leurs maigres cadavres dans les solitudes glacées. Le flambeau de la vie était éteint.

Assise sous les derniers arbustes polaires qui, dans la haute serre, mouraient les uns après les autres, la jeune fille tenait dans ses mains les froides mains de sa mère, morte de la veille, consumée en pleine jeunesse. La nuit était glacée. La pleine lune brillait comme un flambeau d’or dans les hauteurs du ciel, mais ses rayons d’or étaient aussi froids que les rayons d’argent de l’antique Séléné. Un silence profond régnait dans l’immense salle, solitude de mort que la respiration seule de l’enfant animait pour elle-même d’une sorte de vie silencieuse.