Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/184

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on crie, on rit, on est tous ensemble, tandis que je suis ici comme un imbécile, les deux coudes sur ma table, à ne savoir que faire. Le mois qui s’est écoulé a été si bon que j’y pense toujours et je désire qu’il en vienne bien vite de pareils. Je m’étais refait à la maison ; je m’étais si bien habitué de nouveau à t’embrasser quand je voulais, à être avec mon pauvre rat à toute minute, que la privation de tout ça me semble plus dure que jamais. J’ai revu aujourd’hui les éternelles rues de mon quartier et la mine de ces trottoirs sur lesquels je passe deux ou trois fois par jour ; j’ai retrouvé sur ma table les bienheureux livres de Droit que j’y avais laissés. J’aime bien mieux ma vieille chambre de Rouen, ou j’ai passé des heures si tranquilles et si douces, quand j’entendais autour de moi toute la maison remuer, quand tu venais à quatre heures pour faire de l’histoire ou de l’anglais, et qu’au lieu d’histoire ou d’anglais tu causais avec moi jusqu’au dîner. Pour qu’on se plaise quelque part, il faut qu’on y vive depuis longtemps. Ce n’est pas en un jour qu’on échauffe son nid et qu’on s’y trouve bien. Dans la journée ça va encore ; mais c’est le soir, quand je suis rentré et que je me trouve dans cette chambre vide, que je pense à Rouen. Réponds-moi tout de suite, mon pauvre rat. Dis-moi comment tu vas, si tu n’as point souffert, etc. Dessine, peins, pianote, tache de passer le temps à ton goût, et, quoique tu dises que tu n’aimes pas écrire, écris-moi de longues lettres.