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DE GUSTAVE FLAUBERT.

meubles étaient de soie violette et les plafonds dorés. Quand je suis entré, elle venait de pleurer, ayant appris le matin que depuis quinze jours la police suivait tous ses pas. Le père du jeune homme avec qui elle a eu son aventure craint qu’elle ne l’accapare et fait tout ce qu’il peut pour rompre cette union illicite. Sens-tu la beauté du père qui a peur de la mangearde ? Vois-tu la mine du fils embêté ! et celle de la fillette que l’on poursuit impitoyablement ?

Nous partons demain de Nogent[1], et nous descendons rapidement jusqu’à Arles et Marseille. C’est en revenant de Gênes que nous visiterons lentement le Midi. À Marseille j’irai voir Mme Foucaud, ce sera singulièrement amer et farce, surtout si je la trouve enlaidie comme je m’y attends. Le bourgeois dirait : Vous aurez là une grande désillusion. Mais j’ai rarement éprouvé des désillusions, ayant eu peu d’illusions. Quelle plate bêtise de toujours vanter le mensonge et de dire : la poésie vit d’illusions ! Comme si la désillusion n’était pas cent fois plus poétique par elle-même ! Ce sont du reste deux mots d’une riche ineptie.

Je me suis ennuyé aujourd’hui d’une façon terrible. Quelle belle chose que la province et le chic des rentiers qui l’habitent ! On vous parle du Juif Errant et de la polka, des impôts et de l’amélioration des routes, et le voisin a une importance !


  1. Le mariage de Caroline Flaubert célébré, la famille Flaubert, y compris Gustave, décida d’accompagner les jeunes époux dans leur voyage en Italie.