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Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/244

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CORRESPONDANCE

s’en ira qu’après s’être gorgé de nous. Encore une fois je vais revoir les draps noirs[1] et j’entendrai l’ignoble bruit des souliers ferrés des croque-morts qui descendent les escaliers. J’aime mieux n’avoir pas d’espoir et entrer au contraire par la pensée dans le chagrin qui va venir. Marjolin arrive ce soir ; que fera-t-il ? Adieu ! j’ai eu hier un pressentiment que, quand je te reverrais, je ne serais pas gai.


105. AU MÊME.
Croisset, mars 1846 [23 ou 24 mars].

Je n’ai pas voulu que tu vinsses ici ; j’ai redouté ta tendresse. J’avais assez de la vue de Hamard sans la tienne. Peut-être eusses-tu été encore moins calme que nous. Dans quelques jours je t’appellerai et je compte sur toi. C’est hier, à onze heures, que nous l’avons enterrée, la pauvre fille. On lui a mis sa robe de noce, avec des bouquets de roses, d’immortelles et de violettes. J’ai passé toute la nuit à la garder. Elle était droite, couchée sur son lit, dans cette chambre où tu l’as entendue faire de la musique. Elle paraissait bien plus grande et bien plus belle que vivante, avec ce long voile blanc qui lui descendait jusqu’aux pieds. Le matin, quand tout a été fait, je lui ai donné un dernier baiser dans son cercueil. Je me suis penché dessus, j’y ai entré la tête, et j’ai senti

  1. Mort de Caroline Hamard. Le docteur Flaubert était mort le 15 janvier précédent.