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CORRESPONDANCE

me trouvais bien plus à plaindre. Après tout, cela tient peut-être à l’exercice. À force de s’élargir pour la souffrance, l’âme en arrive à des capacités prodigieuses ; ce qui la comblait naguère à la faire crever en couvre à peine le fond maintenant. J’ai au moins une consolation énorme, une base sur laquelle je m’appuie ; c’est celle-ci : je ne vois plus ce qui peut m’arriver de fâcheux. Il y a la mort de ma mère que je prévois plus ou moins prochaine ; mais, avec moins d’égoïsme, je devrais l’appeler pour elle. Y a-t-il de l’humanité à secourir les désespérés ? As-tu réfléchi combien nous sommes organisés pour le malheur ? On s’évanouit dans la volupté, jamais dans la peine. Les larmes sont pour le cœur ce que l’eau est pour les poissons. Je suis résigné à tout, prêt à tout ; j’ai serré mes voiles et j’attends le grain, le dos tourné au vent et la tête sur ma poitrine. On dit que les gens religieux endurent mieux que nous les maux d’ici-bas. Mais l’homme convaincu de la grande harmonie, celui qui espère le néant de son corps, en même temps que son âme retournera dormir au sein du grand Tout pour animer peut-être le corps des panthères ou briller dans les étoiles, celui-là non plus n’est pas tourmenté. On a trop vanté le bonheur mystique. Cléopâtre est morte aussi sereine que saint François. Je crois que le dogme d’une vie future a été inventé par la peur de la mort ou l’envie de lui rattraper quelque chose. — C’est hier que l’on a baptisé ma nièce. L’enfant, les assistants, moi, le curé lui-même qui venait de dîner et était empourpré, ne comprenaient pas plus l’un que l’autre ce qu’ils faisaient. En contemplant tous ces symboles insignifiants pour nous, je me