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CORRESPONDANCE

Adieu, adieu ; je mets ma tête sur tes seins et je te regarde de bas en haut, comme une madone.

11 heures du soir.

Adieu, je ferme ma lettre. C’est l’heure où, seul et pendant que tout dort, je tire le tiroir où sont mes trésors. Je contemple tes pantoufles, ton mouchoir, tes cheveux, ton portrait, je relis tes lettres, j’en respire l’odeur musquée. Si tu savais ce que je sens maintenant !… dans la nuit mon cœur se dilate et une rosée d’amour le pénètre !

Mille baisers, mille, partout, partout.


115. À LA MÊME.
Nuit de samedi au dimanche, minuit
[9 août 1846].

Le ciel est pur ; la lune brille. J’entends des marins chanter, qui lèvent l’ancre pour partir avec le flot qui va venir. Pas de nuages, pas de vent. La rivière est blanche sous la lune, noire dans l’ombre. Les papillons se jouent autour de mes bougies, et l’odeur de la nuit m’arrive par mes fenêtres ouvertes. Et toi, dors-tu ? Es-tu à ta fenêtre ? Penses-tu à celui qui pense à toi ? Rêves-tu ? Quelle est la couleur de ton songe ? Il y a huit jours que s’est passée notre belle promenade au Bois de Boulogne. Quel abîme depuis ce jour-là ! Ces heures charmantes, pour les autres, sans doute, se sont écoulées comme les précédentes et comme les suivantes ; mais pour nous ç’a été un