Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
272
CORRESPONDANCE

où l’un de nous a sculpté son rêve, réapparaît l’Éternité du Principe dans chaque floraison des ravenelles jaunes. Il m’est doux de songer que je servirai un jour à faire croître des tulipes. Qui sait ! l’arbre au pied duquel on me mettra donnera peut-être d’excellents fruits ; je serai peut-être un engrais superbe, un guano supérieur.

Ce polisson de Phidias est donc tout à fait pris dans les liens de la dame blonde ? Depuis le temps qu’il y est, [combien] doit-il avoir consommé de filets de bœuf ! Quelle excellente et bonne nature ! Je t’ai vu en blâmer le côté flottant, préhensible, malléable ; aujourd’hui, tu voudrais que je lui ressemblasse pour que je cède quand tu me dis : « Reste. » Tu t’étonnes que je n’aie pas eu de faiblesses. Si, j’en ai eu ; j’[en] ai eu d’immenses avec toi. C’est moi qui le sais parce que c’est moi qui les ai senties. Pour ce qui est de ces départs fixés d’avance et auxquels je n’ai jamais manqué, n’aurais-je pas pu, si je ne t’avais jugée supérieure, te faire un mensonge anodin comme on en fait en pareil cas, avoir l’air de céder, et accorder à tes instances ce que j’aurais eu décidé d’avance ? Mais non, à partir de ce soir où tu m’as baisé sur le front, je me suis juré à moi-même de ne jamais te mentir. C’est le procédé le plus rude, le plus brutal, peut-être le moins tendre, diras-tu ? Mais je crois que ce serait te mépriser qu’agir autrement, et t’avilir même.

Tu n’es pas faite pour être servie par un amour faux et grimaçant. J’aimerais mieux te faire une balafre au visage qu’une grimace derrière le dos.

Il t’a fait plaisir, pauvre ange, le bouquet de fête que je t’ai envoyé ! Ce n’est pas moi qui ai eu