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DE GUSTAVE FLAUBERT.

pressentiment qu’il t’aimait que je me suis de suite senti à lui vouloir du bien. À propos, pendant que j’y pense, demande donc à ton cousin, puisqu’il a habité Cayenne, qu’il te donne des nouvelles de deux personnes, M. Brache et Mme Foucaud de Lenglade. Cette dernière doit n’y plus être depuis longtemps.

Je t’envoie un mot pour faire remettre à Phidias, quand tu sauras où on peut le trouver. Le mieux sera le plus tôt possible. Lis-le, tu verras de quoi il est question et, si tu connais quelqu’un qui puisse rendre service à mon protégé, cela me fera grand plaisir. Je suis tout dévoué à ce brave garçon qui se rallie à mes souvenirs les plus gais, les plus tendres aussi. C’est lui qui faisait jouer à ma sœur du Mozart et du Beethoven. J’ai beaucoup ri avec lui autrefois, beaucoup bu aussi. Maintenant entre lui et moi, comme avec tous les autres du reste, il n’y a plus rien de commun. Cela est venu par la force des choses. J’ai changé, j’ai grandi. Voilà, celui-là a une nature heureuse. Il a été dans la plus atroce misère sans en être affecté, et, quand il a pu, il s’en est donné à cœur joie. C’est une belle et bonne âme, et la plus généreuse que je connaisse, sous son enveloppe commune. Quand il n’a plus d’argent, il donne ses habits, ses meubles. Je l’ai vu hébergeant et nourrissant sept personnes à la fois. Comme il n’avait pas de draps pour la septième, il la faisait coucher avec lui. J’y suis entré un matin ; l’étranger avait pour bonnet de nuit une casquette d’été que son hôte lui avait prêtée ; c’était d’un comique achevé ! J’aimerais à le voir réussir dans sa demande. Je le crois un vrai artiste. Parles-en à Chopin, si tu vas