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DE GUSTAVE FLAUBERT.

on monte à cheval. Il est presque sûr que je ne ferai pas imprimer une ligne, et mes neveux (je dis neveux au sens propre, ne voulant pas plus de postérité de la famille que je ne compte sur l’autre) feront probablement des bonnets à trois cornes pour leurs petits enfants avec mes romans fantastiques, et entoureront la chandelle de leur cuisine avec les contes orientaux, drames, mystères, etc., et autres balivernes que j’aligne très sérieusement sur du beau papier blanc. Voilà, ma chère Louise, une fois pour toutes le fond de ma pensée sur ce sujet et sur moi.

Je n’ai pas besoin d’être soutenu dans mes études par l’idée d’une récompense quelconque ; et le plus drôle c’est que, m’occupant d’art, je ne crois pas plus à ça qu’à autre chose, car le fond de ma croyance c’est de n’en avoir aucune. Je ne crois pas même à moi ; je ne sais pas si je suis bête ou spirituel, bon ou mauvais, avare ou prodigue. Comme tout le monde, je flotte entre tout cela ; mon mérite est peut-être de m’en apercevoir et mon défaut d’avoir la franchise de le dire. D’ailleurs est-on si sûr de soi ? Est-on sûr de ce qu’on pense ? de ce qu’on sent ? Toi maintenant qui m’aimes, qui m’aimes tant que tu voudrais te le nier, est-ce moi que tu aimes dans moi ou un autre homme que tu as cru y trouver, et qui ne s’y rencontre pas… ? Pardonne-le-moi si c’est faux, mais il me semble que dans ta dernière lettre il y a un ton de lassitude, comme si ma pensée te fatiguait. Eh bien un jour, si tu ne veux plus de moi, si tu t’aperçois que ce mirage-là t’a trompée, tu viendras t’asseoir au foyer de mon cœur ; ta place y sera toujours. Je guérirai avec des mots que je sais les blessures