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CORRESPONDANCE

dans un perpétuel ébahissement. C’est de beaucoup ce qu’il y a de plus beau en Égypte et peut-être ce que nous verrons de plus crâne dans tout notre voyage. Ce soir, nous arriverons à Keneh probablement. Si je n’y ai pas de lettres, je n’ai plus d’espoir d’en avoir qu’au Caire. Enfin, Dieu bénisse la poste et les chanceliers ! Si je savais au moins que tu as reçu toutes les miennes ! Je mets dans mes envois le plus de régularité possible ; je fais partir des exprès à cheval quand je n’ai pas d’occasion. Avec tout cela, j’ai bien peur que tu ne passes souvent plusieurs courriers sans avoir de mes nouvelles. Mais tranquillise-toi, bonne mère, je vais et nous allons tous bien. En fait d’inconvénients de voyage, croiras-tu que je viens de passer quatre jours sans fumer ! faute de tabac. Le tabac des paysans arabes me semblant exécrable, je soupire après le caporal.

Je viens tout à l’heure de rater une grande cigogne qui se promenait tranquillement sur la rive. Ma balle a été à cinquante pas plus loin faire des ricochets sur le sable, et la cigogne tranquillement est remontée dans l’air, laissant pendre ses pattes et donnant de grands coups d’ailes.

Nous venons, pauvre vieille, de passer à Thèbes quinze bien bons jours. C’est beau ! ce devait être au moins une ville aussi grande que Paris. Il faut trois jours rien que pour voir, sans s’arrêter, les ruines qui en demeurent encore, quoique tout soit ravagé et aux trois quarts enfoui. C’est une plaine entre deux chaînes de montagnes, traversée par le Nil, parsemée d’obélisques, de colonnades, de frontispices, de colosses. Je n’oublierai jamais la première impression que m’a faite le palais de