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Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 2.djvu/44

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CORRESPONDANCE

endurcissement, à cette restriction graduelle de mes admirations. À mesure que je me détache des artistes, je m’enthousiasme davantage pour l’Art. J’en arriverai pour mon propre compte à ne plus oser écrire une ligne, parce que, de jour [en jour] je me sens de plus en plus petit, mince et faible. La Muse est une vierge qui a un pucelage de bronze, et il faut être un luron pour… [sic].

Non l’épouvante du pauvre artiste devant la beauté, si c’est impuissance, n’est ni dureté, ni scepticisme. La mer paraît immense vue du rivage. Montez sur le sommet des montagnes, la voilà plus grande encore. Embarquez-vous dessus, tout disparaît ; des flots, des flots ! Que suis-je, moi, dans ma petite chaloupe ? « Préservez-moi, mon Dieu, la mer est si grande et ma barque est si petite ! » C’est une chanson bretonne qui dit cela, et je le dis aussi en songeant à d’autres abîmes.

Du Camp n’a pu et n’aurait pu aller chez toi pour prendre ta commission. Revenu à Paris, il est parti de suite pour Vichy d’où il doit être revenu le soir même, et je l’attends ici demain à 10 heures du soir. Nous allons passer un mois ensemble à écrire notre voyage que nous avions commencé en route.

Je vais demain voir cet ami[1] malade dont je t’ai parlé. Il est pire ; ça m’assombrit : un ami qui meurt c’est quelque chose de vous qui meurt.

Adieu, chère amie, je t’embrasse tendrement, à toi.

Tu ferais bien, pour tes maux de cœur, d’aller à la campagne, chez ces bons bourgeois. Prends

  1. Alfred Le Poittevin.