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CORRESPONDANCE

mière représentation comme si c’était moi. Es-tu sûre que Rachel se charge du rôle ? Comment t’y es-tu prise, l’œuvre avance-t-elle ? Toute la vanité littéraire que je n’ai plus (je l’ai réduite en miettes imperceptibles à force de bon sens), je l’ai reportée sur les autres. Quand les mères vieillissent, elles ne sont plus coquettes pour elles, tu sais !

Je lis maintenant du Théocrite et du Lucrèce. Je commence à les comprendre. Quels artistes que ces anciens ! Et quelles langues que ces langues-là ! Toutes celles que nous pourrons faire, va, ne vaudront jamais celles-là

C’est là qu’il faut vivre, c’est là qu’il faut aller, dans la région du soleil, au pays du Beau. Les gens qui entendent la vie matérielle, quand il pleut l’hiver ferment leurs volets, allument vingt-cinq bougies, font un grand feu, conditionnent un punch et se couchent sur des peaux de tigre, à fumer des cigarettes.

Il faut prendre cela au sens moral et, comme dit le proverbe persan, « boucher les cinq fenêtres afin que la maison y voie plus clair ».

Fourmi, qu’est-ce que me fait le monde à moi ? Qu’il tourne à sa fantaisie ! Je vis dans ma petite demeure que je tapisse de poussière de diamants.

Je lis aussi du Byron, et toujours les Livres Saints. Je fume, je prends l’air sur mon balcon et puis c’est tout. La vie se passe tout de même.

Écoute ici un conseil médical : prends beaucoup de bains. Il y a quelque temps, j’étais fort irrité (c’était le résultat d’une grande colère qui m’avait duré plusieurs jours). Je me suis mis à ce régime et je m’en suis fort bien trouvé.