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CORRESPONDANCE

parlant de là-haut, etc., je l’ai pris d’un bras et l’ai enlevé tout d’un bond jusque sur sa terrasse. Je me rappelle aussi que je lui ai arrangé un duel, à cet homme si brave, etc., etc. Ah ! les hommes d’action ! les actifs ! comme ils se fatiguent et nous fatiguent pour ne rien faire, et quelle bête de vanité que celle que l’on tire d’une turbulence stérile !

L’action m’a toujours dégoûté au suprême degré. Elle me semble appartenir au côté animal de l’existence (qui n’a senti la fatigue de son corps ! combien la chair lui pèse !). Mais quand il l’a fallu, ou quand il m’a plu, je l’ai menée, l’action, et raide, et vite et bien. Pour sa croix d’honneur, à Du Camp, j’ai fait en une matinée ce qu’à cinq ou six gens d’action qu’ils étaient là ils n’avaient pu accomplir en six semaines. Il en a été de même pour mon frère, quand je lui ai fait avoir sa place. De Paris où j’étais, j’ai enfoncé toute l’école de médecine de Rouen et fait écrire par le roi au préfet pour lui forcer la main. Les amis qui me considéraient étaient épouvantés de mon toupet et de mes ressources. Le père Degasc (ancien pair de France, ami de mon père) en était si ébahi qu’il voulait sérieusement me faire entrer dans la diplomatie, prétendant que j’avais de grandes dispositions pour l’intrigue. Ah ! quand on sait rouler une métaphore on peut bien peloter des imbéciles. L’incapacité des gens de pensée aux affaires n’est qu’un excès de capacité. Dans les grands vases, une goutte d’eau n’est rien et elle emplit les petites bouteilles.

Mais la durée est là qui nous console. Que reste-t-il de tous les actifs, Alexandre, Louis XIV, etc., et Napoléon même, si voisin de nous ? La pensée