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Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 3.djvu/162

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CORRESPONDANCE

dans ce livre n’est tiré de moi ; jamais ma personnalité ne m’aura été plus inutile. Je pourrai peut-être par la suite faire des choses plus fortes (et je l’espère bien), mais il me paraît difficile que j’en compose de plus habiles. Tout est de tête. Si c’est raté, ça m’aura toujours été un bon exercice. Ce qui m’est naturel à moi, c’est le non-naturel pour les autres, l’extraordinaire, le fantastique, la hurlade métaphysique, mythologique. Saint Antoine ne m’a pas demandé le quart de la tension d’esprit que la Bovary me cause. C’était un déversoir ; je n’ai eu que plaisir à écrire, et les dix-huit mois que j’ai passés à en écrire les 500 pages ont été les plus profondément voluptueux de toute ma vie. Juge donc, il faut que j’entre à toute minute dans des peaux qui me sont antipathiques. Voilà six mois que je fais de l’amour platonique, et en ce moment je m’exalte catholiquement au son des cloches, et j’ai envie d’aller en confesse !

Tu me demandes où je logerai. Je n’en sais rien. Je suis là-dessus fort difficile. Cela dépendra tout à fait de l’occasion, de l’appartement. Mais je ne logerai pas plus bas que la rue de Rivoli, ni plus haut que le boulevard. Je tiens à du soleil, à une belle rue et à un escalier large. Je tâcherai de n’être pas loin de toi ni de B[ouilhet], qui part définitivement au mois de septembre. Il fera son drame à Paris ; je ne peux donc à ce sujet te donner aucune réponse nette. Je sais très bien les rues et quartiers dont je ne veux pas, voilà tout. Hier j’ai reçu le Livre Posthume avec cette inscription « Souvenir d’amitié ». Je lui ai de suite répondu un mot pour le remercier en lui disant que, quant à porter un jugement dessus, je m’en abstenais