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CORRESPONDANCE

je donne mon avis ; jeudi par du vin, qu’il a fallu que j’aille acheter ; vendredi par une visite que j’ai reçue et un dîner que j’ai pris, et aujourd’hui enfin par le re-vin qu’il a fallu classer. Bouilhet m’a accompagné jeudi dans ces courses vinicoles. J’ai été splendide et j’avais une bonne balle chez le marchand de vins, dans son comptoir, derrière les grilles, dégustant les crus dans la petite tasse d’argent, roulant mes joues et tournant les yeux. Vendredi j’ai dîné à Rouen chez Baudry avec le père Sénard, son beau-père. C’est ce Baudry qui a traduit un morceau indien dans le dernier numéro de la Revue de Paris. Il m’a dit que tous les articles y étaient payés à raison de 100 francs la feuille. Il y a de plus un prix supérieur pour les grands hommes. On a fait le calcul et donné à Baudry 40 francs. Rougissant de les empocher (ou d’empocher si peu), il a pris un abonnement, voilà. Mais comme Bouilhet est un ami, on ne le paie pas et Melaenis lui a coûté 250 francs. C’est juste, Melaenis est bon. Il faut toujours prendre, dans les choses de ce monde, la vérité et la morale à rebours. Tu verras que Énault et Du Camp vont finir par se lier. J’ai beaucoup ri, dans un temps, de la conjuration d’Holbachique, dont Jean-Jacques se plaint tant dans ses Confessions. Le tort qu’il avait, je crois, c’était de voir là un parti pris. Non, la multitude, ou le monde, n’a jamais de parti pris. Ça agit comme un organisme, en vertu de lois naturelles. Et comme Rousseau devait bien heurter tout ce XVIIIe siècle de beaux messieurs, de beaux esprits, de belles dames et de belles manières ! Quel ours lâché en plein salon ! Chaque mouvement qu’il faisait lui faisait