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CORRESPONDANCE

lettres tristes depuis quelque temps ! Je ne suis pas de mon côté fort facétieux. L’intérieur et l’extérieur, tout va assez sombrement. La Bovary marche à pas de tortue ; j’en suis désespéré par moments. D’ici à une soixantaine de pages, c’est-à-dire pendant trois ou quatre mois, j’ai peur que ça ne continue ainsi. Quelle lourde machine à construire qu’un livre, et compliquée surtout ! Ce que j’écris présentement risque d’être du Paul de Kock si je n’y mets une forme profondément littéraire. Mais comment faire du dialogue trivial qui soit bien écrit ? Il le faut pourtant, il le faut. Puis, quand je vais être quitte de cette scène d’auberge, je vais tomber dans un amour platonique déjà ressassé par tout le monde et, si j’ôte de la trivialité, j’ôterai de l’ampleur. Dans un bouquin comme celui-là, une déviation d’une ligne peut complètement m’écarter du but, me le faire rater tout à fait. Au point où j’en suis, la phrase la plus simple a pour le reste une portée infinie. De là tout le temps que j’y mets, les réflexions, les dégoûts, la lenteur ! Je te tiens quitte des misères du foyer, de mon beau-frère, etc.

L’institutrice[1] part demain pour Londres. Je lui ai donné une lettre pour miss Collier ; elle te rapportera ton album.

Ce matin j’ai donné à Bouilhet le billet de cette infortunée mère Roger. Je trouve cela franc d’intention. Elle veut, la malheureuse ! Comme les femmes se précipitent naïvement dans la gueule du loup ! Comme elles se compromettent à plaisir ! Elle viendra bientôt à Rouen et l’affaire se fera,

  1. Miss Isabelle, institutrice de la nièce de Flaubert.