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CORRESPONDANCE

danser au salon des Bains, jouer le whist chez Mme Pasquier, et pendant dix minutes il n’avait cessé de me parler de la solitude !

Voilà la race commune des gens qui sont à la tête de la société. Dans quel gâchis nous pataugeons ! Quel niveau ! Quelle anarchie ! La médiocrité se couvre d’intelligence. Il y a des recettes pour tout, des mobiliers voulus et qui disent : « Mon maître aime les arts. Ici on a l’âme sensible. Vous êtes chez un homme grave ! » Et quels discours ! quel langage ! quel commun ! Où aller vivre, miséricorde ! Saint Polycarpe avait coutume de répéter, en se bouchant les oreilles et s’enfuyant du lieu où il était : « Dans quel siècle, mon Dieu ! m’avez-vous fait naître ! » Je deviens comme saint Polycarpe.

La bêtise de tout ce qui m’entoure s’ajoute à la tristesse de ce que je rêve. Peu de gaieté en somme. J’ai besoin d’être rentré chez moi et de reprendre la Bovary furieusement. Je n’y peux songer ; tout travail ici m’est impossible.

Je relis beaucoup de Rabelais ; je fume considérablement. Quel homme que ce Rabelais ! Chaque jour on y découvre du neuf. Prends donc, toi, pauvre Muse, l’habitude de lire tous les jours un classique. Tu ne lis pas assez. Si je te prêche cela sans cesse, chère amie, c’est que je crois cette hygiène salutaire.

Je suis dans ce moment fort empêché par un rhumatisme dans le cou, que j’avais hier un peu, mais qui aujourd’hui, m’est revenu plus fort. Ce sont les pluies de la Grèce qui me remontent. J’en ai tant eu pendant trois semaines ! Je viens néanmoins de clouer ta petite boîte. Je l’expédierai