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CORRESPONDANCE

Moi qui ne peux souffrir la pluie, j’ai été tantôt trempé jusqu’aux os, sans presque m’en apercevoir. Et quand je m’en irai d’ici, je serai chagrin. C’est toujours la même histoire ! Oui, je commence à être débarrassé de moi et de mes souvenirs. Les joncs qui, le soir, fouettent mes souliers en passant sur la dune, m’amusent plus que mes songeries (je suis aussi loin de la Bovary que si je n’en avais écrit de ma vie une ligne).

Je me suis ici beaucoup résumé et voilà la conclusion de ces quatre semaines fainéantes : adieu, c’est-à-dire adieu et pour toujours au personnel, à l’intime, au relatif. Le vieux projet que j’avais d’écrire plus tard mes mémoires m’a quitté. Rien de ce qui est de ma personne ne me tente. Les attachements de la jeunesse (si beaux que puisse les faire la perspective du souvenir, et entrevus même d’avance sous les feux de Bengale du style) ne me semblent plus beaux. Que tout cela soit mort et que rien n’en ressuscite ! À quoi bon ? Un homme n’est pas plus qu’une puce. Nos joies, comme nos douleurs, doivent s’absorber dans notre œuvre. On ne reconnaît pas dans les nuages les gouttes d’eau de la rosée que le soleil y a fait monter ! Évaporez-vous, pluie terrestre, larmes des jours anciens, et formez dans les cieux de gigantesques volutes, toutes pénétrées de soleil.

Je suis dévoré maintenant par un besoin de métamorphoses. Je voudrais écrire tout ce que je vois, non tel qu’il est, mais transfiguré. La narration exacte du fait réel le plus magnifique me serait impossible. Il me faudrait le broder encore.

Les choses que j’ai le mieux senties s’offrent à moi transposées dans d’autres pays et éprouvées