Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 3.djvu/365

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
359
DE GUSTAVE FLAUBERT.

missaient à son approche. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il frémissait, lui, à l’approche des marbres. Les montagnes, pour cet homme, avaient donc une âme. Elles étaient de nature correspondante ; c’était comme la sympathie de deux éléments analogues. Mais cela devait établir, de l’une à l’autre, je ne sais où ni comment, des espèces de traînées volcaniques d’un ordre inconcevable, à faire péter la pauvre boutique humaine.

Me voilà à peu près au milieu de mes comices (j’ai fait quinze pages ce mois, mais non finies). Est-ce bon ou mauvais ? Je n’en sais rien. Quelle difficulté que le dialogue, quand on veut surtout que le dialogue ait du caractère ! Peindre par le dialogue et qu’il n’en soit pas moins vif, précis et toujours distingué en restant même banal, cela est monstrueux et je ne sache personne qui l’ait fait dans un livre. Il faut écrire les dialogues dans le style de la comédie et les narrations avec le style de l’épopée.

Ce soir, j’ai encore recommencé sur un nouveau plan ma maudite page des lampions que j’ai déjà écrite quatre fois. Il y a de quoi se casser la tête contre le mur ! Il s’agit (en une page) de peindre les gradations d’enthousiasme d’une multitude à propos d’un bonhomme qui, sur la façade d’une mairie, place successivement plusieurs lampions. Il faut qu’on voie la foule gueuler d’étonnement et de joie ; et cela sans charge ni réflexions de l’auteur. Tu t’étonnes quelquefois de mes lettres, me dis-tu. Tu trouves qu’elles sont bien écrites. Belle malice ! Là, j’écris ce que je pense. Mais penser pour d’autres comme ils eussent pensé, et les faire parler, quelle différence ! Dans ce moment-ci, par