Aller au contenu

Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 3.djvu/406

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
400
CORRESPONDANCE

445. À LOUISE COLET.

En partie inédite.

[Croisset] Dimanche soir, 1 heure
[18 décembre 1853].

J’ai mille excuses à te faire, pauvre chère Muse (commençons par nous embrasser). Quand je dis excuses, ce sont plutôt des explications.

Je ne méprise nullement la Servante. Qui t’a fourré ça dans la tête ? Au contraire ! au contraire ! Si j’avais jugé la chose mauvaise, je te l’eusse déclaré comme j’ai fait pour ta Princesse, pour ta comédie de l’Institutrice. Mais non ! Tu ne comprends jamais les demi-teintes. Je pense comme toi que tu n’as peut-être jamais écrit de plus beaux vers et en plus grande quantité dans la même œuvre. Mais, et ici commencent les réticences, d’abord je ne te sais nul gré de faire de beaux vers : tu les ponds comme une poule les œufs, sans en avoir conscience (c’est dans ta nature, c’est le bon Dieu qui t’a faite comme ça). Rappelle-toi encore une fois que les perles ne font pas le collier, c’est le fil, et c’est parce que j’avais admiré dans la Paysanne un fil transcendant, que j’ai été choqué ne plus l’apercevoir si net dans la Servante. Tu avais été, dans la Paysanne, shakespearienne, impersonnelle. Ici, tu t’es un peu ressentie de l’homme que tu voulais peindre[1]. Le lyrisme, la fantaisie, l’individualité, le parti pris, les passions de l’auteur s’entortillent trop autour de ton sujet. Cela est plus jeune et, s’il y a une supériorité de forme incontestable,

  1. Alfred de Musset.