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CORRESPONDANCE

J’attends la Paysanne avec impatience, mais ne te presse point, prends tout ton temps. Ce sera bon. Tous les perruquiers sont d’accord à dire que plus les chevelures sont peignées, plus elles sont luisantes. Il en est de même du style, la correction fait son éclat. J’ai relu hier, à cause de toi, la Pente de la Rêverie. Eh bien, je ne suis pas de ton avis. Ça a une grande allure, mais c’est mou, un peu, et peut-être le sujet même échappait-il aux vers ? Tout ne se peut pas dire ; l’Art est borné, si l’idée ne l’est pas. En fait de métaphysique surtout, la plume ne va pas loin, car la force plastique défaille toujours à rendre ce qui n’est pas très net dans l’esprit. Je vais lire l’Oncle Tom en anglais. J’ai, je l’avoue, un préjugé défavorable à son endroit. Le mérite littéraire seul ne donne pas de ces succès-là. On va loin comme réussite, lorsque à un certain talent de mise en scène et à la facilité de parler la langue de tout le monde on joint l’art de s’adresser aux passions du jour, aux questions du moment. Sais-tu ce qui se vend annuellement le plus ? Faublas et l’Amour conjugal, deux productions ineptes. Si Tacite revenait au monde, il ne se vendrait pas autant que M. Thiers. Le public respecte les bustes, mais les adore peu. On a pour eux une admiration de convention et puis c’est tout. Le bourgeois (c’est-à-dire l’humanité entière maintenant, y compris le peuple) se conduit envers les classiques comme envers la religion : il sait qu’ils sont, serait fâché qu’ils ne fussent pas, comprend qu’ils ont une certaine utilité très éloignée, mais il n’en use nullement et ça l’embête beaucoup, voilà.

J’ai fait prendre au cabinet de lecture la Char-