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CORRESPONDANCE

360. À LOUISE COLET.
[Croisset] Lundi, 5 heures [27 décembre 1852].

Je suis, dans ce moment, comme tout épouvanté, et si je t’écris c’est peut-être pour ne pas rester seul avec moi, comme on allume sa lampe la nuit quand on a peur. Je ne sais si tu vas me comprendre, mais c’est bien drôle. As-tu lu un livre de Balzac qui s’appelle Louis Lambert ? Je viens de l’achever il y a cinq minutes ; il me foudroie. C’est l’histoire d’un homme qui devient fou à force de penser aux choses intangibles. Cela s’est cramponné à moi par mille hameçons. Ce Lambert, à peu de choses près, est mon pauvre Alfred. J’ai trouvé là de nos phrases (dans le temps) presque textuelles : les causeries des deux camarades au collège sont celles que nous avions, ou analogues. Il y a une histoire de manuscrit dérobé par les camarades et avec des réflexions du maître d’études qui m’est arrivée, etc., etc. Te rappelles-tu que je t’ai parlé d’un roman métaphysique[1] (en plan), où un homme, à force de penser, arrive à avoir des hallucinations au bout desquelles le fantôme de son ami lui apparaît, pour tirer la conclusion (idéale, absolue) des prémisses (mondaines, tangibles) ? Eh bien, cette idée est là indiquée, et tout ce roman de Louis Lambert en est la préface. À la fin le héros veut se châtrer, par une espèce de manie mystique. J’ai eu, au milieu de mes ennuis de

  1. La Spirale. Voir Fischer : Études sur Flaubert inédit (Leipzig, 1908)