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DE GUSTAVE FLAUBERT.

j’ai besoin (physiquement parlant) d’un événement heureux qui me dilate la poitrine. Je vis cerclé comme une barrique, et quand je tape sur moi, ça sonne creux.

Tu as bien raison de m’appeler hypocondriaque, et j’ai même peur que je ne finisse un jour par « tourner mal ». Mais comment veux-tu que je garde quelque sérénité et quelque confiance après tous les renfoncements intérieurs (ce sont les pires) qui m’arrivent l’un par-dessus l’autre.

Les corrections de la Bovary m’ont achevé, et j’avoue que j’ai presque regret de les avoir faites. Tu vois que le sieur Du Camp trouve que je n’en ai pas fait assez. On sera peut-être de son avis ? D’autres trouveront peut-être qu’il y en a trop ? Ah ! m… !

Je me suis conduit comme un sot en faisant comme les autres, en allant habiter Paris[1], en voulant publier. J’ai vécu dans une sérénité d’art parfaite tant que j’ai écrit pour moi seul. Maintenant je suis plein de doutes et de trouble, et j’éprouve une chose nouvelle : écrire m’embête ! Je sens contre la littérature la haine de l’impuissance.

Je dois te scier le dos, mon pauvre vieux, mais je te supplie, à genoux, de me pardonner, car je n’ai personne à qui ouvrir la bouche de tout cela. Le seul mortel que j’ai vu depuis six semaines est le sieur Nion qui est venu me faire une visite avant-hier, et qui m’a engagé « à travailler, à utiliser mon intelligence, mes lectures, mes voyages » !!!

J’ai su, à propos de Préault (mais ne crois pas

  1. Il s’agit de son pied-à-terre, 42, boulevard du Temple.