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DE GUSTAVE FLAUBERT.

dire l’Économie politique. Vous serez tout étonnée de vous voir changer d’avis, de jour en jour, comme on change de chemise. N’importe, le scepticisme n’aura rien d’amer, car vous serez comme à la comédie de l’humanité et il vous semblera que l’histoire a passé sur le monde pour vous seule.

Les gens légers, bornés, les esprits présomptueux et enthousiastes veulent en toute chose une conclusion ; ils cherchent le but de la vie et la dimension de l’infini. Ils prennent dans leur pauvre petite main une poignée de sable et ils disent à l’Océan : « Je vais compter les grains de tes rivages. » Mais comme les grains leur coulent entre les doigts et que le calcul est long, ils trépignent et ils pleurent. Savez-vous ce qu’il faut faire sur la grève ? Il faut s’agenouiller ou se promener. Promenez-vous.

Aucun grand génie n’a conclu et aucun grand livre ne conclut, parce que l’humanité elle-même est toujours en marche et qu’elle ne conclut pas. Homère ne conclut pas, ni Shakespeare, ni Goethe, ni la Bible elle-même. Aussi ce mot fort à la mode, le Problème social, me révolte profondément. Le jour où il sera trouvé, ce sera le dernier de la planète. La vie est un éternel problème, et l’histoire aussi, et tout. Il s’ajoute sans cesse des chiffres à l’addition. D’une roue qui tourne, comment pouvez-vous compter les rayons ? Le dix-neuvième siècle, dans son orgueil d’affranchi, s’imagine avoir découvert le soleil. On dit par exemple que la Réforme a été la préparation de la Révolution française. Cela serait vrai si tout devait en rester là, mais cette Révolution est elle-même la prépa-