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CORRESPONDANCE

suis mis à travailler ! » Le malheureux ! Quand est-ce donc que j’ai commencé ! Et mon air sévère ! Mon sourire sans bienveillance ! Je vous assure que tout cela m’a flatté. J’ai donc cette apparence rébarbative des héros de l’Homme ? Ah ! Duplan, comme je t’aime, mon bon, pour comprendre ainsi le grand homme. Tu es le seul mortel de la création qui le sente comme moi. Cet affreux livre, cet abominable ouvrage, etc., a été le plus grand élément de grotesque dans ma vie. J’ai maintes fois cuydé en crever de rire ! Gœthe disait à propos de la Révolution de 1830 : « Encore une noix que la Providence m’envoie à casser. » Victor Hugo a écrit : « Que les cieux étoilés ne brillaient que pour lui. » Moi, je pense, parfois, que l’existence de ce pauvre vieux a été uniquement faite pour me divertir. Quelles créations ! quels types ! et quelle observation de mœurs ! Comme c’est vrai ! Quelle élévation de caractère ! quel lyrisme et quelles bonnes intentions ! Voyez-vous ce que serait sur lui une « causerie familière » de M. de Lamartine !

Je commence à aller dans Carthage. Je n’ai plus qu’un mouvement pour avoir fini le premier chapitre. Je vous assure que c’est « monté ». Trop, peut-être ? Le difficile est de rendre, en même temps, la chose mouvementée. Si mon premier chapitre marche, le reste ira, j’en suis sûr. J’ai eu à y introduire tous les personnages du livre, sauf deux. Enfin, je me mets en route, c’est l’important. Mais que de mal j’ai eu pour y arriver ! Resterai-je en cet état ?

Adieu, vieux ; mille tendresses.