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DE GUSTAVE FLAUBERT.

à terre qui me répugne. De quelle façon il parle de Dieu ! et de l’amour ! Mais la France est un piètre pays, quoi qu’on dise. Béranger lui a fourni tout ce qu’elle peut supporter de poésie. Un lyrisme plus haut lui passe par-dessus la tête. C’était juste ce qu’il fallait à son tempérament. Voilà la raison de cette prodigieuse popularité. Et puis, l’habileté pratique du bonhomme ! Ses gros souliers faisaient valoir sa grosse gaieté. Le peuple se mirait en lui depuis l’âme jusqu’au costume.

À propos de Spinoza (un fort grand homme, celui-là), tâchez de vous procurer sa biographie par Boulainvilliers. Elle est dans l’édition latine de Leipsick. Émile Saisset a traduit, je crois, l’Éthique. Il faut lire cela. L’article de Mme Coignet, dans la Revue de Paris, était bien insuffisant. Oui, il faut lire Spinoza. Les gens qui l’accusent d’athéisme sont des ânes. Goethe disait : « Quand je me sens troublé, je relis l’Éthique ». Il vous arrivera peut-être, comme à Goethe, d’être calmée par cette grande lecture. J’ai perdu, il y a dix ans, l’homme que j’ai le plus aimé au monde, Alfred Le Poittevin. Dans sa maladie dernière, il passait ses nuits à lire Spinoza.

Je n’ai jamais connu personne (et je connais bien du monde) d’un esprit aussi transcendantal que cet ami dont je vous parle. Nous passions quelquefois six heures de suite à causer métaphysique. Nous avons été haut, quelquefois, je vous assure. Depuis qu’il est mort, je ne cause plus guère avec qui que ce soit, je bavarde ou je me tais. Ah ! quelle nécropole que le cœur humain ! Pourquoi aller aux cimetières ? Ouvrons nos souvenirs, que de tombeaux !