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DE GUSTAVE FLAUBERT.

et les réflexions chateaubrianesques sur la fuite des jours, la chute des feuilles et celle des cheveux. N’importe ; il y avait longtemps que je n’avais si profondément pensé ou senti, je ne sais. Philoxène dirait : « J’ai relu les pierres de l’escalier et les murs de la maison. »

Je me suis trouvé extrêmement seul à Marseille pendant deux jours. J’ai été au musée, au spectacle. J’ai visité les vieux quartiers ; j’ai fumé dans les cabarets écartés, au milieu des matelots, en regardant la mer.

La seule chose importante que j’aie vue jusqu’à présent, c’est Constantine, le pays de Jugurtha. Il y a un ravin démesuré qui entoure la ville. C’est une chose formidable et qui donne le vertige. Je me suis promené au-dessus à pied et dedans à cheval. C’était l’heure où, sur le boulevard du Temple, la queue des petits théâtres commence à se former. Des gypaètes tournoyaient dans le ciel.

En fait d’ignoble, je n’ai rien vu d’aussi beau que trois Maltais et un Italien (sur la banquette de la diligence de Constantine) qui étaient soûls comme des Polonais, puaient comme des charognes et hurlaient comme des tigres. Ces messieurs faisaient des plaisanteries et des gestes obscènes, le tout accompagné de pets, de rots et de gousses d’ail qu’ils croquaient dans les ténèbres, à la lueur de leurs pipes. Quel voyage et quelle société ! C’était du Plaute à la douzième puissance. Une crapule de 75 atmosphères.

J’ai vu à Philippeville, dans un jardin tout plein de rosiers en fleurs sur le bord de la mer, une belle mosaïque romaine représentant deux femmes,