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CORRESPONDANCE

594. À ERNEST FEYDEAU.
Croisset, dimanche [19 décembre 1858].

Je commençais à m’embêter de n’avoir pas de nouvelles de ta femme et j’allais t’écrire aujourd’hui. Tant mieux si la maladie traîne. Cela est signe que ce n’est pas très grave. M. Cloquet a également dit à ma mère qu’il trouvait de l’amélioration. Elle a dû aller chez toi hier. Tiens-moi au courant de tout ce qui arrive en bien ou en mal.

Mille compliments, mon cher monsieur, de la manière dont tu as vendu Daniel[1]. Que ne suis-je aussi habile ! La littérature, jusqu’à présent, m’a coûté 200 francs. Voilà les gains, et au train dont je vais, il est peu probable que j’en fasse d’autres.

Tu me demandes ce que je deviens ? Voici : je me lève à midi et me couche entre 3 et 4 heures du matin. Je m’endors vers 5. À peine si je vois la lumière des cieux. Chose odieuse en hiver. Aussi je ne sais plus distinguer les jours de la semaine, ni le jour d’avec la nuit. Je vis d’une façon farouche et extravagante qui me plaît fort, sans un événement, sans un bruit. C’est le néant objectif, complet. Et je ne travaille pas trop mal, pour moi du moins. Depuis dix-huit jours j’ai écrit dix pages, lu en entier la Retraite des Dix Mille, et analysé six traités de Plutarque (sic), le grand hymne à Cérès

  1. Baudelaire écrit le 30 décembre 1858 : « Colonne vient de payer 10 000 francs le roman nouveau de Feydeau, quinze feuilles. J’ai fait explosion, mais il paraît que c’est une spéculation. » On sait, d’autre part, que Michel Lévy avait acheté à Flaubert, pour la somme de cinq cents francs, le droit de vendre Madame Bovary pendant cinq années.