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Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 4.djvu/348

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CORRESPONDANCE

Tu es jeune encore. Tu as, je crois, dans le ventre, de grandes œuvres à pondre. Pense qu’il faut les faire. Oui, qu’il faut, et je te prie de remarquer que je ne te donne aucune consolation. Je regarde ce genre de choses comme une injure.

Si Gautier a été à l’enterrement, sois sûr qu’il a fait, dans sa pensée, une chose héroïque (je le connais depuis longtemps), et il faut lui en savoir gré. Ce qui ne serait rien pour un autre était pour celui-là excessif. Balaye tout et arrange-toi pour qu’il revienne. Si j’étais à Paris je m’en chargerais. Tu peux lui faire parler par quelqu’un. Sois bon ! C’est plus commode d’ailleurs.

Et maintenant, parlons de tes affaires. Est-ce qu’elles sont aussi désespérées que tu les fais ? Quittes-tu la Bourse définitivement, absolument ? N’y trouves-tu plus le moyen d’y gagner de quoi vivre ? S’il en est ainsi, cherche quelque chose d’analogue. Tu connais l’argent, ne le quitte pas, bien qu’il te quitte momentanément. Car tu es, sous ce rapport, un monsieur à retomber toujours sur ses pattes. Quant à la littérature, je crois qu’elle pourrait te rapporter suffisamment, mais (et le mais est gros) en travaillant d’une manière hâtive et commerciale où tu finirais bientôt par perdre ton talent. Les plus forts y ont péri. L’Art est un luxe ; il veut des mains blanches et calmes. On fait d’abord une petite concession, puis deux, puis vingt. On s’illusionne sur sa moralité pendant longtemps. Puis on s’en f… complètement. Et puis on devient imbécile, tout à fait, ou approchant. Tu n’es pas né journaliste, Dieu merci ! Donc, je t’en supplie, continue comme tu as fait jusqu’à présent.