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Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 4.djvu/448

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CORRESPONDANCE

étais content du débit de Sylvie et il a défendu ladite dame devant un bourgeois qui gueulait contre son immoralité, sans l’avoir lu, bien entendu.

Ah ! mon pauvre vieux, il faut être né enragé pour faire de la littérature ! Comme on est soutenu ! comme on est encouragé ! comme on est récompensé ! Oui, fais ton livre sur La condition des Artistes, le besoin s’en fait sentir, pour moi du moins.

Pourquoi te sens-tu « troublé et hésitant » ? Que tu sois embêté, exaspéré, je le conçois. C’est mon état ordinaire, à moi qui n’ai pas tes ennuis matériels. Mais puisque tu as encore plusieurs livres dans ton sac et un intérieur domestique plein de tendresse, c’est-à-dire le dessus et le dessous de la vie, marche sans tourner la tête et droit vers ton but.

Nous gueulons contre notre époque. Mais Rabelais, ni Molière, ni Voltaire même ne nous ont fait leurs confidences. On préférait à Shakespeare je ne sais plus quel baladin qui montrait des ours. Il est vrai que j’aimerais mieux être comparé à Mangin qu’à bien de nos confrères. Enfin ! étourdissons-nous avec le bruit de la plume et buvons de l’encre. Ça grise mieux que le vin. Quant à suivre les conseils du père Sainte-Beuve[1], « ménager la chèvre et le chou, mettre de l’eau dans son vin, s’arranger en un mot pour réussir près du public », c’est trop difficile et trop chanceux. Tu sais qu’il me prêche, de mon côté, pour faire du moderne. Eh bien ! sais-tu ce que je rêve, mainte-

  1. Voir Correspondance de Sainte-Beuve, vol. I, p. 260-261 (25 août 1860).