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DE GUSTAVE FLAUBERT.

de Mademoiselle d’Hauterive[1] ? Ce suicide d’amoureux pour fuir la misère doit inspirer de belles phrases morales à Prud’homme. Moi, je le comprends. Ce n’est pas américain ce qu’ils ont fait, mais comme c’est latin et antique ! Ils n’étaient pas forts, mais peut-être très délicats.


1101. À SA NIÈCE CAROLINE.
Mercredi soir, 6 heures [début de juin 1870].
Mon Loulou,

Nous avons eu à 5 heures un désappointement, en ne recevant pas de lettre de toi.

« Notre pauvre fille » ne nous a pas écrit depuis samedi.

Ta grand’mère allait très bien, depuis dimanche surtout, le dîner de jeunes gens l’ayant divertie. Mais, aujourd’hui, la privation de ta correspondance l’assombrit.

  1. Fille du Bibliothécaire de Sainte-Geneviève, Mlle Borel d’Hauterive habitait Nice, dans la même maison qu’un jeune homme, nommé Morpain. Une intrigue s’était nouée entre eux ; mais ils étaient pauvres, et la vie commune devint impossible. Le dimanche 15 mai 1870, des paysans trouvèrent, aux environs de la vallée de la Mantegat, Mlle d’Hauterive grièvement blessée. Elle raconta que son ami et elle, à bout de ressources, s’étaient d’accord suicidés ; que le cadavre de Morpain gisait un peu plus loin, qu’elle-même, souffrant beaucoup, s’était traînée. Elle expira peu après. La version du double suicide fut généralement admise. Toutefois le journal les Alpes Maritimes, relatant le fait divers, à quelques jours de là, émit l’hypothèse d’un crime. Ce fait divers, qui fut un gros scandale, est resté assez mystérieux.

    (Note de René Descharmes (Edition Santandréa).