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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Le bon Français veut se battre[1] : 1o  parce qu’il se croit provoqué par la Prusse ; 2o  parce que l’état naturel de l’homme est la sauvagerie ; 3o  parce que la guerre contient en soi un élément mystique qui transporte les foules.

En sommes-nous revenus aux guerres de races ? J’en ai peur. L’effroyable boucherie qui se prépare n’a pas même un prétexte. C’est l’envie de se battre pour se battre. Je pleure les ponts coupés, les tunnels défoncés, tout ce travail humain perdu, enfin une négation si radicale !

Le congrès de la paix a tort pour le moment. La civilisation me paraît loin. Hobbes avait raison : Homo homini lupus.

J’ai commencé Saint Antoine, et ça marcherait peut-être assez bien si je ne pensais pas à la guerre. Et vous ?

Le bourgeois d’ici ne tient plus. Il trouve que la Prusse était trop insolente et veut « se venger ».

Vous avez vu qu’un monsieur[2] a proposé à la Chambre le pillage du duché de Bade. Ah ! que ne puis-je vivre chez les Bédouins !


1114. À SA NIÈCE CAROLINE.
[Croisset] Nuit de jeudi, [28-]29 juillet 1870.
Mon pauvre Loulou,

Je voulais t’écrire tantôt avant le dîner ; mais j’ai reçu à ce moment-là la visite de Bataille et de son

  1. Déclaration de la guerre à la Prusse, 19 juillet 1870.
  2. M. de Kératry.