Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 6.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
187
DE GUSTAVE FLAUBERT.

1143. À SA NIÈCE CAROLINE.
Rouen, dimanche, 18 décembre 1870.
Ma chère Caro,

Comme tu dois être inquiète de nous ! Rassure-toi, nous vivons tous, après avoir passé par des émotions terribles et restant plongés dans des ennuis inimaginables ! Dieu merci pour toi, tu ne les a pas eus. J’ai cru par moments en devenir fou. Quelle nuit que celle qui a précédé notre départ de Croisset ! Ta grand’mère a couché à l’Hôtel-Dieu pendant toute une semaine. Moi-même, j’y ai passé une nuit. Présentement nous sommes sur le port, où nous avons deux soldats à loger. À Croisset il y en a sept, plus trois officiers et six chevaux. Jusqu’à présent nous n’avons pas à nous plaindre de ces messieurs. Mais quelle humiliation, mon pauvre Caro ! quelle ruine ! quelle tristesse ! quelle misère ! Tu ne t’attends pas à ce que je te fasse une narration. Elle serait trop longue, et d’ailleurs je n’en serais pas capable. Depuis quinze jours il nous est impossible de recevoir de n’importe où une lettre, un journal et de communiquer avec les environs ; tu dois en savoir, grâce aux journaux anglais, plus long que nous. Il nous a été impossible de faire parvenir une lettre à ton mari (et il n’a pu nous écrire). Espérons que, quand les Prussiens se seront établis en Normandie complètement, ils nous permettront de circuler. Le consul d’Angle-