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CORRESPONDANCE

respecté mon pauvre cabinet. Mais Croisset a perdu, pour moi, tout son charme, et pour rien au monde je n’y remettrais maintenant les pieds. Si tu savais ce que c’est que de voir des casques prussiens sur son lit ! Quelle rage ! Quelle désolation ! Cette affreuse guerre n’en finit pas ! Finira-t-elle quand Paris se sera rendu ? Mais comment Paris peut-il se rendre ? Avec qui la Prusse voudra-t-elle traiter ? De quelle façon établir un gouvernement ? Quand je considère l’avenir, si prochain qu’il soit, je ne vois qu’un grand trou noir et le vertige me prend. Je ne doute pas, pauvre Caro, que tu ne ressentes toutes nos douleurs ; mais il faut être là pour les subir en entier. Pendant deux mois les Prussiens ont été dans le Vexin. C’était bien près de nous et je voyais souvent quelques-unes de leurs victimes. Eh bien, je n’avais pas l’idée de ce que c’est que l’invasion ! Ajoute à cela que depuis deux mois nous avons eu presque constamment de la neige, avec un froid de 10 à 12 degrés. Les glaçons de la Seine sont à peine fondus.

La vieille Julie est revenue à Rouen. Elle est presque complètement aveugle. Ah ! j’ai une belle compagnie, ma pauvre Caro ! Au moins si je pouvais occuper mon esprit à quelque chose ! Mais c’est impossible ! Le malheur vous abrutit. J’ai appris que Dumas est dans le même état que moi et qu’il a du mal à écrire une lettre. Je ne sais pas comment j’ai fait pour t’en écrire une si longue. Tâche de nous envoyer des tiennes le plus souvent possible. Quand nous reverrons-nous ?

Le seul espoir lointain que je garde est celui de quitter la France définitivement, car elle sera