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DE GUSTAVE FLAUBERT.

depuis que nous nous sommes vus ? Ont-elles été perdues ? Cela est bien possible, par l’aimable temps qui court.

J’espère mercredi prochain entendre parler de vous par Mme Dubois de L’Estang, dont j’ai reçu ce matin un petit mot pour m’avertir de son passage à Rouen en revenant de Bruxelles ; mais je m’ennuie trop de ne pas voir votre abominable et chère écriture !

L’état de Paris est toujours bien gentil, bien gentil ! Quelle reculade ! Quelle sauvagerie ! Le plus triste peut-être, c’est qu’on s’y habitue ; oui, cela est cynique à dire, mais c’est vrai ! On finit par en prendre son parti et par s’accoutumer à se passer de Paris, et presque à croire qu’il n’existe plus.

Quant à moi, la guerre de Prusse m’a fait verser tant de larmes et m’a rendu si désespéré que je suis maintenant fort blasé sur les émotions patriotiques. Il n’y a pas de malheur après l’invasion, et je plains (ou j’envie) ceux qui sont plus furieux contre les soldats de Cluseret qu’ils ne l’ont été contre les traîneurs de sabre du bon Guillaume. Le plus grand crime de ces misérables-là (je parle des gens de la Commune), c’est d’avoir déplacé la haine. La France ne songe plus aux Prussiens ! Elle n’a même plus l’idée d’une revanche future ! Nous en sommes là !

Notre état mental est du domaine de la médecine, tout le monde a une maladie du cerveau ; à force de blaguer on est devenu très bête — bête et lâche. Pauvre, pauvre pays !

Pour n’y plus songer, j’ai repris mon travail avec fureur. Il m’a semblé doux de me retrouver