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CORRESPONDANCE

pas de la pièce, mais de l’idée à prêcher. Notre ami Dumas rêve la gloire de Lacordaire, ou plutôt de Ravignan ! Empêcher de retrousser les cotillons est devenu, chez lui, une idée fixe. Faut-il que nous soyons encore peu avancés puisque toute la morale consiste pour les femmes à se priver d’adultère et pour les hommes à s’abstenir de vol ! Bref, la première injustice est pratiquée par la littérature qui n’a souci de l’esthétique, laquelle n’est qu’une Justice supérieure. Les romantiques auront de beaux comptes à rendre, avec leur sentimentalité immorale. Rappelez-vous une pièce de Victor Hugo, dans la Légende des Siècles, où un sultan est sauvé parce qu’il a eu pitié d’un cochon ; c’est toujours l’histoire du bon larron, béni parce qu’il s’est repenti. Se repentir est bien, mais ne pas faire de mal est mieux. L’école des réhabilitations nous a amenés à ne voir aucune différence entre un coquin et un honnête homme. Je me suis, une fois, emporté, devant témoins, contre Sainte-Beuve, en le priant d’avoir autant d’indulgence pour Balzac qu’il en avait pour Jules Lecomte[1]. Il m’a répondu en me traitant de ganache ! Voilà où mène la largeur.

On a tellement perdu tout sentiment de la proportion que le conseil de guerre de Versailles traite plus durement Pipe-en-Bois que M. Courbet ; Maroteau est condamné à mort comme Rossel. C’est du vertige ! Ces messieurs, du reste, m’intéressent fort peu. Je trouve qu’on aurait dû condamner aux galères toute la Commune et

  1. Journaliste, critique littéraire, et surtout feuilletoniste abondant.