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DE GUSTAVE FLAUBERT.

exactitude. Puisque vous possédez ce livre-là, voyez vers la page 100.

Si j’avais gardé le silence, on m’aurait accusé d’être un lâche. J’ai protesté naïvement, c’est-à-dire brutalement. Et j’ai bien fait.

Je crois qu’on ne doit jamais commencer l’attaque ; mais quand on riposte, il faut tâcher de tuer net son ennemi. Tel est mon système. La franchise fait partie de la loyauté ; pourquoi serait-elle moins entière dans le blâme que dans l’éloge ?

Nous périssons par l’indulgence, par la clémence, par la vacherie et (j’en reviens à mon éternel refrain), par le manque de justice.

Je n’ai d’ailleurs insulté personne, je m’en suis tenu à des généralités ; quant à M. Decorde, mes intentions sont de bonne guerre ; mais assez parlé de tout cela !

J’ai passé hier une bonne journée avec Tourgueneff, à qui j’ai lu les 115 pages de Saint Antoine qui sont écrites. Après quoi je lui ai lu à peu près la moitié des Dernières Chansons. Quel auditeur ! et quel critique ! Il m’a ébloui par la profondeur et la netteté de son jugement. Ah ! si tous ceux qui se mêlent de juger les livres avaient pu l’entendre, quelle leçon ! Rien ne lui échappe. Au bout d’une pièce de cent vers, il se rappelle une épithète faible ; il m’a donné pour Saint Antoine deux ou trois conseils de détail exquis.

Vous me jugez donc bien bête, puisque vous croyez que je vais vous blâmer à propos de votre abécédaire ? J’ai l’esprit assez philosophique pour savoir qu’une pareille chose est une œuvre très sérieuse.