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CORRESPONDANCE

Car j’écris (je parle d’un auteur qui se respecte) non pour le lecteur d’aujourd’hui, mais pour tous les lecteurs qui pourront se présenter, tant que la langue vivra. Ma marchandise ne peut donc être consommée maintenant, car elle n’est pas faite exclusivement pour mes contemporains. Mon service reste donc indéfini et, par conséquent, impayable.

Pourquoi donc publier ? Est-ce pour être compris, applaudi ? Mais vous-même, vous grand George Sand, vous avouez votre solitude.

Y a-t-il maintenant, je ne dis pas de l’admiration ou de la sympathie, mais l’apparence d’un peu d’attention pour les œuvres d’art ? Quel est le critique qui lise le livre dont il ait à rendre compte ?

Dans dix ans, on ne saura peut-être plus faire une paire de souliers, tant on devient effroyablement stupide ! Tout cela est pour vous dire que, jusqu’à des temps meilleurs (auxquels je ne crois pas), je garde Saint Antoine dans un bas d’armoire.

Si je le fais paraître, j’aime mieux que ce soit en même temps qu’un autre livre tout différent. J’en travaille un maintenant qui pourra lui faire pendant. Conclusion : le plus sage est de se tenir tranquille.

Pourquoi Duquesnel[1] ne va-t-il pas trouver le général Ladmirault, Jules Simon, Thiers ? Il me semble que cette démarche le regarde. Quelle belle chose que la Censure ! Rassurons-nous, elle existera toujours, parce qu’elle a toujours existé.

  1. Directeur de l’Odéon ; il s’agissait de démarches à faire pour obtenir l’autorisation de jouer Mademoiselle de La Quintinie.