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CORRESPONDANCE

fallait être « naïve », c’est-à-dire croire à la bonne foi de ma proposition. Je la réitère : pouvez-vous m’héberger pendant vingt-quatre heures ? Voulez-vous que je vous apporte Saint Antoine et le plan du roman que j’entreprends ? Pourrez-vous, sans fatigue pour vos nerfs, supporter ces violentes lectures ? Sinon, j’arriverai orné de mes seules grâces naturelles, et j’irai loger à l’auberge.

Comment allez-vous ? Comment traînez-vous le boulet de l’existence ? Le général, que j’ai vu plusieurs fois cet automne, m’a dit que vous étiez stoïque et Mme Plessy, lundi dernier, vous a citée en exemple, comme un merveilleux résultat du culte des lettres. J’avais envie de lui sauter au cou, devant le monde, à cause de cette bonne parole.

Je ne compare pas mes misères aux vôtres, pauvre chère Madame, mais je ne suis pas gai. Je deviens même atrocement lugubre. Pourquoi ? Ah ! à cause de « tout ». Je passe de l’exaspération à la prostration, puis je remonte de l’anéantissement à la rage, si bien que la moyenne de ma température est l’embêtement.

Je ne vois guère plus de monde à Paris que je n’en voyais à Croisset. Qui voir ? Qui fréquenter ? Je puis dire comme Hernani : « Tous mes amis sont morts », et je n’ai pas de dona Sol pour essuyer sur moi la pluie de l’orage.

Dans ces derniers temps, j’ai pris cependant un certain plaisir à envoyer promener messieurs les éditeurs, qui montent mes quatre étages, auxquels je ne réponds rien de définitif, et qui reviennent en grimaçant comme des chats-tigres pour me subtiliser ma pauvre copie. Mais je suis bien décidé à ne rien publier. Ils ne comprennent