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DE GUSTAVE FLAUBERT.

occupation est de regarder la pendule et d’attendre le lendemain. Mes nuits les plus longues sont de cinq heures ! Et je ne peux pas dormir le jour ! Ta lettre de ce matin m’a cependant un peu rassuré.

Tu es bien gentille de m’envoyer des tendresses, mais je m’insurge quand tu me dis : « Endurcissons nos cœurs à la vue d’un arbre, d’un appartement, d’un bibelot favori dont la séparation semble vouloir nous ravir le meilleur de nous-même. »

J’ai passé ma vie à priver mon cœur des pâtures les plus légitimes. J’ai mené une existence laborieuse et austère. Eh bien ! Je n’en peux plus ! Je me sens à bout. Les larmes rentrées m’étouffent et je lâche l’écluse. Et puis, l’idée de n’avoir plus un toit à moi, un home, m’est intolérable. Je regarde maintenant Croisset avec l’œil d’une mère qui regarde son enfant phtisique en se disant : « Combien durera-t-il encore ? » Et je ne peux m’habituer à l’hypothèse d’une séparation définitive.

Mais ce n’est pas cela qui m’occupe le plus, actuellement. Ce qui me navre, pauvre Caro, c’est ta ruine ! Ta ruine présente et l’avenir. Déchoir n’est pas drôle. Tous les grands mots de résignation et de sacrifice ne me consolent pas du tout ! Mais pas du tout !

Depuis trois jours, il n’a pas paru un rayon de soleil. Le ciel est gris, sans nuages, immobile. La pluie tombe sans discontinuer. Un silence absolu. Pas une seule visite.

Je ne parle pas du déménagement. Fais comme tu voudras. Tout sera bien fait. Mon égoïsme est tel que je ne te plains pas du mal que tu te don-