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DE GUSTAVE FLAUBERT.

comme d’autres avec de l’eau-de-vie. Mon bouquin avance ; dans un an je serai près de la fin.

Je ne compte pas être à Paris cet hiver avant le mois de février. À cette époque, j’aurai la solution de mes affaires, solution qui sera déplorable, mais au moins je saurai à quoi m’en tenir. Quand on est au fond de l’abîme, on n’a plus rien à craindre. Je vous fais cette confidence, ma chère Princesse, pour que vous ne m’accusiez pas d’être un maniaque, un entêté. J’ai mal gouverné ma barque, par excès d’idéal ; j’en suis puni, voilà tout le mystère. Taine est un brave homme de penser à moi pour l’Académie ! Mais je ne lui demanderai pas sa voix ! À quoi bon de pareils honneurs ?

J’ai eu indirectement des nouvelles de Goncourt ; je sais qu’il travaille ferme. Renan doit avoir publié un nouveau volume qui est sans doute chez moi là-bas.

Vous me rappelez tous les amis morts ! les amis des mercredis de la rue de Courcelles ! Ah ! c’était le beau temps ! et j’y pense plus souvent qu’il ne le faudrait pour ma gaieté. À mesure que j’avance en âge, le passé me tient de plus en plus aux moelles ; dès que j’ai un moment de liberté d’esprit, je me retourne vers ce qui ne reviendra plus.

Oui, j’ai lu la lettre de Chambord à de Mun. Ces gens-là sont idiots ! Et surtout aveugles.

J’ai été indigné de l’attentat contre le roi Humbert. Pourquoi ? Dans quel but ? Ah ! la bêtise humaine, quel gouffre ! La terre est un vilain séjour, décidément.

Si j’étais chez vous, près de vous, je penserais tout différemment.