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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Bref, je crois que vous vous trompez sur l’état présent des choses. Elles ne sont pas si noires ! Et puis, quand même, que pouvez-vous craindre ? Quel est le parti qui vous en veut ? Aucun. Je ne comprends pas davantage que Popelin ait des « inquiétants » sur le sort de son fils. Si les favorisés de la Providence se plaignent, que ne doivent pas dire les autres !

Bien qu’il soit imprudent de s’offrir en exemple, je voudrais, pour votre tranquillité, ma chère Princesse, que vous eussiez un peu de mon insouciance (ou de ma résignation). La politique m’atteint maintenant, directement, dans mes intérêts, car je n’ai pas le sol, et je n’ai chance d’en avoir que si les affaires reprennent. Rien de plus incertain que mon avenir (sans compter que le présent n’est pas folâtre). N’importe ! Je n’accuse personne, et je n’en veux ni à mon époque, ni à mon pays ; une seule chose m’indigne, à savoir la bêtise, la grosse ignorance, l’aveuglement des bourgeois. Il vaut mieux en rire, après tout. Aussi, quand je pense que mon ami Pouyer-Quertier va revenir au pouvoir (s’il n’y est déjà), j’entre dans une espèce d’épanouissement de gaîté. Franchement, le nouveau « sauveur » est drôle. Le sentiment du comique est un bon soutien dans les fanges de la vie. Si je ne l’avais pas eu depuis longtemps je serais mort enragé. Tâchez de l’avoir, Princesse, et de l’orgueil aussi. Allons donc ! Mettez la tristesse à la porte !

Pensez au sang olympien qui coule dans vos veines ! Restez déesse.

Moi, je reste à vos pieds, comme il convient à votre vieux fidèle et dévoué.