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CORRESPONDANCE

1716. À MADAME ROGER DES GENETTES.
[Croisset, samedi soir, 10 novembre 1877].

Je trouvais que vous m’oubliiez un peu, quand votre bonne lettre est venue me prouver le contraire. La grosseur du paquet m’a réjoui, mais tout n’est pas de vous, puisque les deux tiers ne sont qu’une épître de Goncourt. Eh bien ! J’aime mieux les vôtres ! Ce n’est pas ça que vous eussiez écrit, de Rome ! Quelle drôle de manie que de faire de l’esprit là où il n’y a pas à en faire ! et de vouloir se distinguer, être chic, au lieu d’admirer bêtement comme un bourgeois ! Voilà où mène la rage de l’originalité, l’abus de la littérature.

Aujourd’hui, ou plutôt ce matin, j’ai poussé un grand ouf ! Car je viens de finir mon abominable chapitre des sciences. L’anatomie, la physiologie, la médecine pratique (y compris le système Raspail), l’hygiène et la géologie, tout cela comprend trente pages, avec des dialogues, de petites scènes et des personnages secondaires ! Le tour est joué. Mais je ne suis pas encore au tiers de l’œuvre. J’en ai pour trois ans au moins. Jamais rien ne m’a plus inquiété. Oh ! si je ne me fourre pas le doigt dans l’œil, quel bouquin ! Qu’il soit peu compris, peu m’importe, pourvu qu’il me plaise, à moi, et à vous, et à un petit nombre ensuite. Il me serait bien doux de vous en lire un peu ; et à ce propos je ne vous trouve pas juste, ma vieille amie, quand vous me dites : je vous verrai à peine une heure en deux mois. Il y a deux ans, lorsque vous étiez à Paris, je ne suis pas