Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/181

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ou trois petits verres. Ils allaient dormir sur leur lit ; après quoi, ils descendaient dans le verger, s’y promenaient, enfin sortaient pour trouver dehors l’inspiration, cheminaient côte à côte, et rentraient exténués.

Ou bien, ils s’enfermaient à double tour. Bouvard nettoyait la table, mettait du papier devant lui, trempait sa plume et restait les yeux au plafond, pendant que Pécuchet, dans le fauteuil, méditait, les jambes droites et la tête basse.

Parfois ils sentaient un frisson et comme le vent d’une idée ; au moment de la saisir, elle avait disparu.

Mais il existe des méthodes pour découvrir des sujets. On prend un titre au hasard, et un fait en découle ; on développe un proverbe, on combine des aventures en une seule. Pas un de ces moyens n’aboutit. Ils feuilletèrent vainement des recueils d’anecdotes, plusieurs volumes des causes célèbres, un tas d’histoires.

Et ils rêvaient d’être joués à l’Odéon, pensaient aux spectacles, regrettaient Paris.

— J’étais fait pour être auteur, et ne pas m’enterrer à la campagne ! disait Bouvard.

— Moi de même, répondait Pécuchet.

Une illumination lui vint : s’ils avaient tant de mal, c’est qu’ils ne savaient pas les règles.

Ils les étudièrent, dans la Pratique du Théâtre par d’Aubignac, et dans quelques ouvrages moins démodés.

On y débat des questions importantes : Si la comédie peut s’écrire en vers ; si la tragédie n’excède point les bornes, en tirant sa fable de l’histoire moderne ; si les héros doivent être vertueux ; quel