Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/185

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Ceux-ci voient une beauté où ceux-là découvrent une faute. Ils admettent des principes dont ils repoussent les conséquences, proclament les conséquences dont ils refusent les principes, s’appuient sur la tradition, rejettent les maîtres, et ont des raffinements bizarres. Ménage, au lieu de lentilles et cassonade, préconise nentilles et castonade. Bouhours, jérarchie et non pas hiérarchie, et M. Chapsal les œils de la soupe.

Pécuchet surtout fut ébahi par Jénin. Comment ? des z’hannetons vaudrait mieux que des hannetons ? des z’aricots que des haricots ? et, sous Louis XIV, on prononçait Roume et Monsieur de Lioune pour Rome et Monsieur de Lionne !

Littré leur porta le coup de grâce en affirmant que jamais il n’y eut d’orthographe positive, et qu’il ne saurait y en avoir.

Ils en conclurent que la syntaxe est une fantaisie et la grammaire une illusion.

En ce temps-là d’ailleurs, une rhétorique nouvelle annonçait qu’il faut écrire comme on parle et que tout sera bien, pourvu qu’on ait senti, observé.

Comme ils avaient senti et croyaient avoir observé, ils se jugèrent capables d’écrire : une pièce est gênante par l’étroitesse du cadre, mais le roman a plus de libertés. Pour en faire un, ils cherchèrent dans leurs souvenirs.

Pécuchet se rappela un de ses chefs de bureau, un très vilain monsieur, et il ambitionnait de s’en venger par un livre.

Bouvard avait connu, à l’estaminet, un vieux maître d’écriture ivrogne et misérable. Rien ne serait drôle comme ce personnage.